Le sauvetage des juifs 1941-1944 (Paul et Suzanne Haering)

Un beau matin de mai 1941

Carmaux 1942
Paul Haering raconte "Un beau matin de mai 1941..."
Suzanne mon épouse
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Rafle à Carmaux - Août 1942 !
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."Un beau matin de mai 1941, Albert et moi avons vu venir du fond du jardin une famille chargée de valises"
 
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Je m'appelle Paul Haering et je suis né le 15 mars 1914. J'ai passé la plus grande partie de ma vie au service des autres, avec l'intime conviction que Dieu m'appelait à Le servir ainsi.

Les paroles de la Bible qui m'ont le plus touché et fait réfléchir se trouvent dans le livre d'Esaïe au chapitre 58 versets 6 à 7 :

"Voici le jeûne auquel je prends plaisir : Détache les chaînes de la méchanceté, Dénoue les liens de la servitude, Renvoie libres les opprimés, Et que l'on rompe toute espèce de joug ; Partage ton pain avec celui qui a faim, Et fais entrer dans ta maison les malheureux sans asile ; Si tu vois un homme nu, couvre-le, Et ne te détourne pas de ton semblable."

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LA BIBLE DE PAUL HAERING OUVERTE SUR LE LIVRE DU PROPHETE ESAÏ.

En 1988, un de mes anciens louveteaux de Nancy, Claude Duvernoy (pasteur écrivain de Jérusalem) vint me voir et me dit que je devais faire connaître mon attitude envers les juifs pendant l'occupation allemande au "Département des Justes" à Jérusalem, qui recherche celles et ceux ayant contribué au sauvetage des Juifs pourchassés par les Nazis entre 1940 et 1945 (ceci dans le but de manifester la reconnaissance du peuple Juif).

J'aimerai vous faire partager une partie de mon histoire, voici donc mon témoignage sur ce que j'ai vécu à l'époque de la seconde guerre mondiale :

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A DROITE : CARTE DES DIFFERENTS CAMPS ORGANISES PAR LES PASTEURS P.HAERING ET A.DELORD

En 1941 je résidais à Carmaux comme évangéliste pour seconder le pasteur Albert Delord. Je m'occupais particulièrement de la jeunesse protestante. Nous avons créé à cette époque le scoutisme unioniste pour enfants à partir de sept ans et allions souvent jouer près de la cité ouvrière de Bellevue (où nous avons vite regroupé une cinquantaine de jeunes !). Nous étions également en relation avec la "résistance" et avec l'un de ses chefs (Monsieur Cavalier) ingénieur aux mines de Carmaux et membre de notre Eglise.

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EMBLÊME DU SCOUTISME UNIONISTE / MONSIEUR CAVALIER, CHEF DE LA RESISTANCE A CARMAUX

Un beau matin de mai 1941, Albert et moi avons vu venir du fond du jardin une famille chargée de valises. S'approchant de nous, ils nous demandèrent asile. Nous apprîmes que le gouvernement français voulait les livrer aux nazis pour être enfermés dans les camps. Le ciel nous tombait sur la tête. C'était tout à coup pour notre pays l'horreur et la honte ! Il s'agissait d'une famille juive, il s'est même trouvé que des familles sarroises étaient dans le même cas, parce qu'elles avaient demandé asile à la France, à la montée de l'Hitlérisme en 1938.

Nous avons accueilli cette famille juive, mais d'autres familles suivirent rapidement. Aussi avons-nous créé un réseau pour les cacher principalement à la campagne, et dans des foyers sûrs, accueillants et discrets.

PLUSIEURS MEMBRES DU RESEAU DE CACHE / CARMAUX
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Nous avons vite pensé qu'il fallait organiser des vacances pour les enfants dont nous nous occupions. Ils avaient besoin de changer d'air et de milieu, d'autant plus qu'en 1942 une garnison allemande était venue s'installer à Carmaux !
Il fallait aussi mettre à l'abri ceux qui risquaient d'être arrêtés par les occupants. Nous avons reçu des juifs, des sarrois, ainsi que des enfants de résistants de la région. La plupart avait de fausses identités (surtout les enfants juifs). Plusieurs de ces camps ont duré deux mois si mes souvenirs sont exacts, et nous avions jusqu'à deux cent campeurs environ.

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Le premier grand centre de vacances fut celui de Sauveterre-de-Rouergue (Aveyron). Les plus jeunes étaient logés dans un hôtel désaffecté réquisitionné grâce à mon ami Mangin (fils du général du même nom), qui était alors secrétaire général de la préfecture de Rodez (je l'avais connu à l'ècole nationale d'Uriage qui fut dissoute par Pétain parce que ses cadres, dont le chef était Dunoyer de Segonzac, ne voulaient pas collaborer avec l'armée allemande).

Plus tard, nous avons trouvé à nous installer pour les vacances dans les dépendances du château de Lautrec, près de Castre dans le Tarn. Ce lieu était en réalité un centre clandestin de retour à la terre pour les juifs sionistes. A la suite de quoi ils partaient pour la terre d'Israël en passant par l'Espagne, grâce à une filière bien organisée. Nous avons aussi organisé un autre centre de vacances situé à Vabre (toujours dans le Tarn).

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COLONIE DE VACANCES AU CHATEAU DE LAUTREC. SUR LA PHOTO DE DROITE ON RECONNAÎT PAUL HAERING

Appelé à plusieurs reprises dans la ville d'Annonay (Ardèche) entre 1941 et 1943 pour seconder le Pasteur Antonin âgé et malentendant (Président des Eglises évangéliques libres) je suis arrivé un jour avec une fille juive de 11 ans, Judith Konowaloff. Ses parents, cachés dans les environs de Carmaux me l'avaient confiée pour quelques mois. Je l'ai alors conduite à l'école sous le nom de "Aude". La directrice qui nous accueillit, avait fort bien compris qu'il s'agissait d'une enfant juive, aussi ai-je reçu dans ma boîte aux lettres cahiers, livres et crayons.

Je ne sais pas ce qu'il est advenu de Judith par la suite.

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JUDITH KONOWALOFF (DETAIL DE LA PHOTO DE MARIAGE DE PAUL ET SUZANNE HAERING A CARMAUX EN NOV. 1942)

Avec quelques enfants de la paroisse et de nombreux autres enfants venus d'ailleurs, nous avons créé un groupe unioniste. Nous avons ouvert dans la région plusieurs colonies de vacances : en juillet 42 aux Brayes (près du Chambon sur Lignon où plus de 4000 juifs ont été cachés) et encore une aux Barraques en juin 43.
Là, le ravitaillement en denrées alimentaires était notre souci constant. La prière que Jésus enseigna à ses apôtres et dans laquelle il est dit
"donne nous notre pain quotidien" (1) prit une valeur exceptionnelle : Il nous arrivait de temps à autre de trouver devant notre porte le matin, un cageot de légumes apporté là par un paysan sympatique, nous avions même le droit d'aller cueillir des cerises !

Dieu nous était fidèle, Il répondait aux prières que nous Lui adressions et ce verset biblique me revint souvent à l'esprit : "Considérez les corbeaux : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils n'ont ni cellier ni grenier ; et Dieu les nourrit. Combien ne valez-vous pas plus que les oiseaux!" (2)

Mon coeur s'est à nouveau ému devant la puissance de notre Seigneur lorsqu'avec Albert nous sommes allés à une retraite d'adolescents organisée par le pasteur Idebert Exbrayat (qui mettait lui aussi à l'abri de nombreuses familles juives avec son épouse). C'était à Rodez (Aveyron). Le soir de notre arrivée Albert apportait un message à ces jeunes gens et ensuite je fis un appel à la repentance : quelle ne fut pas notre surprise d'entendre prier et pleurer plusieurs de ces jeunes qui s'ouvraient à Jésus Christ... ce fut pour nous comme une petite Pentecôte. Le Seigneur avait touché le coeur de ces jeunes et ce fut un moment plein d'émotions.
Un an plus tard,Idebert nous disait "vous savez,ils tiennent toujours !"

Fin 1944, Albert fut appelé à diriger le sanatorium de lépreux de Chartreuse de Valbonne (créé par son père Philadelphe). Entre -temps il s'était marié à Edwige...j'ai donc remplacé mon ami Albert de mon mieux avec la présence du Seigneur pour chaque instant de ma vie. Voici d'ailleurs comment Il se manifesta à nouveau : J'étais parti visiter les prisonniers allemands (comme j'avais l'habitude de le faire) qui travaillaient dans les fours à chaux de l'oncle de mon épouse Suzanne Alric. Là,j'en profitais toujours pour visiter à proximité une amie de mes beaux parents qui tirait les cartes et lisait l'avenir dans les marcs de café ! Alors je me moquais gentiment d'elle, et lui faisais une lecture biblique à chaque visite. Je savais que Dieu n'appréciait guère l'attitude de cette femme, comme le confirme cette parole biblique :
"Qu'on ne trouve chez toi personne qui fasse passer son fils ou sa fille par le feu, personne qui exerce le métier de devin, d'astrologue, d'augure, de magicien...Car quiconque fait ces choses est en abomination à l'Eternel ;" (3)

Quelques temps plus tard, aprés avoir du quitter Carmaux, j'apprenais que cette dame (Mme Lille) se convertissait à Jésus Christ ! Mais ce n'est pas tout, elle devint même conseillère de l'église évangélique de Carmaux ! Gloire à Dieu !

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Je vais arrêter ici mon récit, au moment où, après avoir fait un dernier centre de vacances difficile tant au niveau du ravitaillement qu'au niveau des finances, je retournais en Lorraine rejoindre mon épouse qui m'avait précédée de quelques mois. A mon départ de Carmaux je laissais la commune reprendre à sa charge la "Cantine scolaire des écoles publiques de Carmaux" que nous avions créée.

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LETTRE DE PAUL HAERING EN VUE DE LA CREATION D'UNE CANTINE SCOLAIRE A CARMAUX EN 1945.

Aujourd'hui, guéri d'un cancer du larynx (qui m'a fait perdre la voix) je remercie le Seigneur de sa présence quotidienne dans chaque étape de ma vie. S'il est vrai que je n'ai jamais connu mon père (tué sur les champs de bataille au tout début de la première guerre mondiale),je peux dire aujourd'hui que Dieu est un père bienveillant, et qu'il n'existe pas sur terre de Père plus parfait que Lui. Il m'a pardonné mes fautes, car dire que ma vie s'est déroulée sans "dérapages" de ma part serait un mensonge. Je lui en suis profondément reconnaissant, car Il ne m'a jamais abandonné, mais c'est moi seul qui me suis éloigné de Lui, laissant parfois à l'adversaire la voie libre.

Dieu est Le Dieu d'Amour, cherchez-Le et vous Le trouverez. Et croyez-le, avec Lui on fait de grandes choses !


Paul Haering (2004)



Petite note : Paul Haering est décédé le 29 août 2005. Deux jours  plus tard, Judith Konowaloff envoya un mail par l'intermédiaire de ce site qu'elle découvrit par hasard... elle et ses parents avient échappé à la Shoah.


(1)Matthieu chap.6 verset 11   (2)Luc,chap.12 verset 24   (3)Deutéronome, chap.18 verset 10

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LE DIPLÔME DE YAD VASHEM DE PAUL HAERING

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