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."Un beau matin de mai 1941, Albert et moi avons vu
venir du fond du jardin une famille chargée de valises"
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Je m'appelle Paul Haering et
je suis né le 15 mars 1914. J'ai passé la plus grande partie de ma vie au service des autres, avec l'intime conviction que
Dieu m'appelait à Le servir ainsi.
Les paroles de la Bible qui m'ont le plus touché et fait réfléchir se trouvent
dans le livre d'Esaïe au chapitre 58 versets 6 à 7 :
"Voici le jeûne auquel
je prends plaisir : Détache les chaînes de la méchanceté, Dénoue les liens de la servitude, Renvoie libres les opprimés, Et
que l'on rompe toute espèce de joug ; Partage ton pain avec celui qui a faim, Et fais entrer dans ta maison les malheureux
sans asile ; Si tu vois un homme nu, couvre-le, Et ne te détourne pas de ton semblable."
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LA BIBLE DE PAUL HAERING OUVERTE SUR LE LIVRE DU PROPHETE ESAÏ. |
En 1988, un de mes anciens louveteaux de Nancy, Claude Duvernoy
(pasteur écrivain de Jérusalem) vint me voir et me dit que je devais faire connaître mon attitude
envers les juifs pendant l'occupation allemande au "Département des Justes" à Jérusalem, qui recherche celles et ceux ayant
contribué au sauvetage des Juifs pourchassés par les Nazis entre 1940 et 1945 (ceci dans le but de manifester la reconnaissance
du peuple Juif).
J'aimerai vous faire partager une partie de mon histoire, voici donc mon témoignage sur ce que
j'ai vécu à l'époque de la seconde guerre mondiale :
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A DROITE : CARTE DES DIFFERENTS CAMPS ORGANISES PAR LES PASTEURS P.HAERING ET A.DELORD |
En 1941 je résidais à Carmaux comme évangéliste pour seconder le pasteur Albert
Delord. Je m'occupais particulièrement de la jeunesse protestante. Nous avons créé à cette
époque le scoutisme unioniste pour enfants à partir de sept ans et allions souvent jouer près de la cité ouvrière de Bellevue
(où nous avons vite regroupé une cinquantaine de jeunes !). Nous étions également en relation avec la "résistance"
et avec l'un de ses chefs (Monsieur Cavalier) ingénieur
aux mines de Carmaux et membre de notre Eglise.
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EMBLÊME DU SCOUTISME UNIONISTE / MONSIEUR CAVALIER, CHEF DE LA RESISTANCE A CARMAUX |
Un beau matin de mai 1941, Albert et moi avons vu venir du fond du jardin une famille chargée de valises.
S'approchant de nous, ils nous demandèrent asile. Nous apprîmes que le gouvernement français voulait les livrer aux nazis
pour être enfermés dans les camps. Le ciel nous tombait sur la tête. C'était tout à coup pour notre pays l'horreur et la honte
! Il s'agissait d'une famille juive, il s'est même trouvé que des familles sarroises étaient dans le même cas, parce qu'elles
avaient demandé asile à la France, à la montée de l'Hitlérisme en 1938.
Nous avons accueilli cette famille juive, mais d'autres familles suivirent rapidement. Aussi avons-nous
créé un réseau pour les cacher principalement à la campagne, et dans des foyers sûrs, accueillants et discrets.
PLUSIEURS MEMBRES DU RESEAU DE CACHE / CARMAUX |
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Nous avons vite pensé qu'il fallait organiser des vacances pour les enfants dont nous
nous occupions. Ils avaient besoin de changer d'air et de milieu, d'autant plus qu'en 1942 une garnison allemande était venue
s'installer à Carmaux ! Il fallait aussi mettre à l'abri ceux qui risquaient d'être arrêtés par les occupants. Nous avons
reçu des juifs, des sarrois, ainsi que des enfants de résistants de la région. La plupart avait de fausses identités (surtout
les enfants juifs). Plusieurs de ces camps ont duré deux mois si mes souvenirs sont exacts, et nous avions jusqu'à deux
cent campeurs environ.
Le premier grand centre de vacances fut celui de Sauveterre-de-Rouergue (Aveyron). Les plus jeunes
étaient logés dans un hôtel désaffecté réquisitionné grâce à mon ami Mangin (fils du général du même nom), qui était alors secrétaire général de la préfecture de Rodez (je
l'avais connu à l'ècole nationale d'Uriage qui fut dissoute par Pétain parce que ses cadres, dont le chef était Dunoyer de
Segonzac, ne voulaient pas collaborer avec l'armée allemande).
Plus tard, nous avons trouvé à nous installer
pour les vacances dans les dépendances du château de Lautrec, près de Castre dans le Tarn. Ce lieu était en réalité un centre
clandestin de retour à la terre pour les juifs sionistes. A la suite de quoi ils partaient pour la terre d'Israël en passant
par l'Espagne, grâce à une filière bien organisée. Nous avons aussi organisé un autre centre de vacances situé à Vabre (toujours
dans le Tarn).
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COLONIE DE VACANCES AU CHATEAU DE LAUTREC. SUR LA PHOTO DE DROITE ON RECONNAÎT PAUL HAERING |
Appelé à plusieurs reprises dans la ville d'Annonay (Ardèche) entre 1941 et 1943 pour seconder
le Pasteur Antonin âgé et malentendant (Président des Eglises évangéliques libres) je suis arrivé un jour avec une
fille juive de 11 ans, Judith Konowaloff. Ses parents,
cachés dans les environs de Carmaux me l'avaient confiée pour quelques mois. Je l'ai alors conduite à l'école sous le nom
de "Aude". La directrice qui nous accueillit, avait fort bien compris qu'il s'agissait d'une enfant juive, aussi ai-je reçu
dans ma boîte aux lettres cahiers, livres et crayons.
Je ne sais pas ce qu'il est advenu de Judith par la suite.
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JUDITH KONOWALOFF (DETAIL DE LA PHOTO DE MARIAGE DE PAUL ET SUZANNE HAERING A CARMAUX EN NOV. 1942) |
Avec quelques enfants de la paroisse et de nombreux autres enfants venus d'ailleurs, nous avons créé
un groupe unioniste. Nous avons ouvert dans la région plusieurs colonies de vacances : en juillet 42 aux Brayes (près
du Chambon sur Lignon où plus de 4000 juifs ont été cachés) et encore une aux Barraques en juin 43. Là, le ravitaillement
en denrées alimentaires était notre souci constant. La prière que Jésus enseigna à ses apôtres et dans laquelle il est dit
"donne nous notre pain quotidien" (1) prit une valeur
exceptionnelle : Il nous arrivait de temps à autre de trouver devant notre porte le matin, un cageot de légumes apporté là
par un paysan sympatique, nous avions même le droit d'aller cueillir des cerises !
Dieu nous était fidèle, Il répondait aux prières que nous Lui adressions et ce verset biblique me revint
souvent à l'esprit : "Considérez les corbeaux : ils ne sèment ni ne moissonnent, ils
n'ont ni cellier ni grenier ; et Dieu les nourrit. Combien ne valez-vous pas plus que les oiseaux!" (2)
Mon coeur s'est à nouveau ému devant la puissance de notre Seigneur
lorsqu'avec Albert nous sommes allés à une retraite d'adolescents organisée par le pasteur
Idebert Exbrayat (qui mettait lui aussi à l'abri de nombreuses familles juives avec
son épouse). C'était à Rodez (Aveyron). Le soir de notre arrivée Albert apportait un message à ces jeunes gens
et ensuite je fis un appel à la repentance : quelle ne fut pas notre surprise d'entendre prier et pleurer plusieurs de ces
jeunes qui s'ouvraient à Jésus Christ... ce fut pour nous comme une petite Pentecôte. Le Seigneur avait touché le coeur de
ces jeunes et ce fut un moment plein d'émotions. Un an plus tard,Idebert nous disait "vous savez,ils tiennent toujours
!"
Fin 1944, Albert fut appelé à diriger le sanatorium de lépreux de Chartreuse de Valbonne (créé par son
père Philadelphe). Entre -temps il s'était marié à Edwige...j'ai donc remplacé mon ami Albert de mon mieux avec la présence
du Seigneur pour chaque instant de ma vie. Voici d'ailleurs comment Il se manifesta à nouveau : J'étais parti visiter les
prisonniers allemands (comme j'avais l'habitude de le faire) qui travaillaient dans les fours à chaux de l'oncle
de mon épouse Suzanne Alric. Là,j'en profitais toujours pour visiter à proximité
une amie de mes beaux parents qui tirait les cartes et lisait l'avenir dans les marcs de café ! Alors je me moquais gentiment
d'elle, et lui faisais une lecture biblique à chaque visite. Je savais que Dieu n'appréciait guère l'attitude de cette femme,
comme le confirme cette parole biblique : "Qu'on ne trouve chez toi personne qui fasse
passer son fils ou sa fille par le feu, personne qui exerce le métier de devin, d'astrologue, d'augure, de magicien...Car
quiconque fait ces choses est en abomination à l'Eternel ;" (3)
Quelques
temps plus tard, aprés avoir du quitter Carmaux, j'apprenais que cette dame (Mme Lille) se convertissait à Jésus
Christ ! Mais ce n'est pas tout, elle devint même conseillère de l'église évangélique de Carmaux ! Gloire à Dieu !
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Je vais arrêter ici mon récit, au moment où, après avoir fait un
dernier centre de vacances difficile tant au niveau du ravitaillement qu'au niveau des finances, je retournais en Lorraine
rejoindre mon épouse qui m'avait précédée de quelques mois. A mon départ de Carmaux je laissais la commune reprendre à sa
charge la "Cantine scolaire des écoles publiques de Carmaux" que nous avions créée.
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LETTRE DE PAUL HAERING EN VUE DE LA CREATION D'UNE CANTINE SCOLAIRE A CARMAUX EN 1945. |
Aujourd'hui, guéri d'un cancer du larynx (qui m'a fait perdre la voix) je remercie le Seigneur
de sa présence quotidienne dans chaque étape de ma vie. S'il est vrai que je n'ai jamais connu mon père (tué sur les champs
de bataille au tout début de la première guerre mondiale),je peux dire aujourd'hui que Dieu est un père bienveillant,
et qu'il n'existe pas sur terre de Père plus parfait que Lui. Il m'a pardonné mes fautes, car dire que ma vie s'est déroulée
sans "dérapages" de ma part serait un mensonge. Je lui en suis profondément reconnaissant, car Il ne m'a jamais abandonné,
mais c'est moi seul qui me suis éloigné de Lui, laissant parfois à l'adversaire la voie libre.
Dieu est Le Dieu d'Amour,
cherchez-Le et vous Le trouverez. Et croyez-le, avec Lui on fait de grandes choses !
Paul
Haering (2004)
Petite
note : Paul Haering
est décédé le 29 août 2005. Deux jours plus tard, Judith
Konowaloff envoya un mail par l'intermédiaire de ce site qu'elle découvrit par
hasard... elle et ses parents avient échappé à la Shoah.
(1)Matthieu
chap.6 verset 11 (2)Luc,chap.12 verset 24 (3)Deutéronome,
chap.18 verset 10
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LE DIPLÔME DE YAD VASHEM DE PAUL HAERING |
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